La revista Desenvolvimento e Sociedade. Revista Interdisciplinar em Ciências Sociais, de la universidad de Évora, recoge en un monográfico algunas de las ponencias de coloquio organizado por la AISLF (Association internationale des sociologues de langue française) y el polo CICS.NOVA de la universidad de Évora "Asymétries territoriales : enjeux socio-environnementaux et facteurs d’inégalités" el 2 y 3 de junio de 2022. El artículo recoge una versión más académica de la ponencia. Al final del texto se incluye la presentación utilizada durante la exposición.
Resumo
O texto propõe uma reflexão, em forma de ensaio, apresentado em mesa redonda, sobre o relativismo social da dialética Norte/Sul, bem como sobre o potencial civilizatório do Sul do Norte, ou seja, do Sul Europeu.
Assim como levanta toda a relevância e necessidade de valorização de alguns autores que, tendo contribuído para um conhecimento mais profundo das nossas sociedades, ficaram fora do “mainstream” sociológico.
Palavras-Chave: Dialética Norte/Sul; Desenvolvimento desigual; Sul global; Mediterrâneo.
Résumé
Le texte propose une réflexion, sous la forme d'un essai présenté lors d'une table ronde, sur le relativisme social de la dialectique Nord/Sud, ainsi que sur le potentiel civilisateur du Sud du Nord, c'est-à-dire le Sud européen.
Il soulève également la pertinence et la nécessité de valoriser certains auteurs qui, ayant contribué à une meilleure compréhension de nos sociétés, ont été laissés à l'écart du courant sociologique dominant.
Mots clés : dialectique Nord/Sud ; développement inégal ; Sud global ; Méditerranée.
1 Introduction
Je vais commencer mon exposition de manière introspective. Parce que je suis né, élevé et éduqué dans le Nord du Sud du Nord, au milieu de la banane bleue ibérique, mais je vis dans le Sud depuis longtemps.
Quand j'étais enfant, je ne connaissais pas le Nord et le Sud. Nous avons utilisé une dichotomie haut/bas : on montait et descendait dans une autre ville, selon qu'elle était située plus haut ou plus bas en altitude que notre ville. Nous ignorions tellement les points cardinaux que nous attribuions à une montagne située à l'Est à l’origine du vent cierzo, sœur du mistral, qui vient en réalité du Nord.
Ensuite, nous avons appris avec la géographie qu’une région, une montagne, tout se situe dans des coordonnées précises, mais la vie sociale est plus complexe : par exemple, le Nord espagnol est le Sud français. Le peuple catalan, apprécié en Espagne comme sérieux, travailleur, dans le sud de la France est apprécié comme tapageur, amoureux des taureaux et de fêtes. Le Pays basque, qui dans le premier tiers du vingtième siècle était notre Nord, la modernité industrielle en Espagne, berceau des grands intellectuels, était un Sud étrange et primitif pour la France.
Puis j'ai quitté le Nord géographique et social pour venir dans une poche de pauvreté du Sud géographique et social : l'Estrémadure.
L'Estrémadure et l'Alentejo étaient des régions pauvres dans les années quatre-vingt. Les plus pauvres d'Europe lorsque nos pays ont rejoint l'Union européenne. Mais plusieurs millions d'habitants de la planète aimeraient aujourd'hui avoir le niveau de développement que l'Estrémadure, ou l'Alentejo, avait alors.
On dit d'un sage qu'un jour il était si pauvre et misérable qu'il ne mangeait que des herbes qu'il avait cueillies. Y en aura-t-il un autre, se dit-il, plus pauvre et plus triste que moi? Et quand le visage revint, il trouva la réponse, voyant qu'un autre sage ramassait les herbes qu'il a jetées.(Calderón de la Barca, 1996, p.12)
En fait, lorsque les pays d'Europe de l'Est sont entrés dans l'Union européenne, ces régions ont découvert qu'elles étaient presque riches. C'est pourquoi on ne peut pas parler de Sud Global, concept qui fait aujourd’hui partie du courant dominant de les sciences sociales (19,500.000 apparitions sur Google en anglais) parce que le Sud est une position relative, et parce qu'il y a des Suds qui se font concurrence et se pillent.
2 Sud ou périphéries?
Je préfère le concept classique de centre-périphérie de Raúl Prebisch, qui visualise le système capitaliste mondial comme des espaces développés et sous-développés interdépendants (Prebisch, 1971). Avec ce modèle, nous analysons le pillage (de la population, de l’eau, de l'énergie, de la nourriture pas chère) auquel certains territoires espagnols ont été soumis par les régions riches, dans le cas d’Aragon(Gaviria, 1977), du sud de la Catalogne(Baigorri, 1979) , ou de l’Extremadure (Baigorri, 1978; Gaviria & Naredo, 1978).
Pendant des siècles, le Sud n'a pas existé. Il y avait le monde, la civilisation, et au-delà la terre inconnue peuplée de monstres. Le domaine grec s'est étendu pendant des siècles par certaines fondations isolées en Méditerranée. Depuis, la latinité était la civilisation. L'humanité était la latinité qui a colonisé le Nord, homogénéisant la diversité tribale.
Le sociologue Edgar Morin disait, à la fin du siècle, que
l'Europe n'est qu'un fragment de l'Occident, alors qu'il y a quatre siècles l'Occident n'était qu'un fragment de l'Europe. Il n'est plus au centre du monde, elle a été jetée à la périphérie de l'histoire (Morin, 1988, p.169)
Mais quand on parle du Sud on parle à la première personne. Je parle du Sud d'une Europe qui est peut-être déjà à la périphérie de l'Histoire, mais qui n'en reste pas moins un espace d'où personne ne sort et auquel chacun veut accéder. Un Sud qui bénéficie des plus-values que le Nord obtient du Sud pauvre, mais qui est aussi, conceptuellement, une partie indissociable du Nord.
3 Le Sud comme fondement du Nord
Je me perds quand la question rhétorique de ce que le Sud peut apporter est soulevée. Parce qu'il a déjà assez contribué. Dans ce Sud il y a des institutions politiques comme le Tribunal de l'Eau de Valencia, qui se réunit à l'ombre de la cathédrale pour dicter la justice aux utilisateurs du système d'irrigation, qui fonctionne depuis plus de deux mille ans(Beltrán & Willi, 2011). Lorsque les Romains ont occupé l'Hispanie, ils ont trouvé des systèmes locaux complexes de gestion de l'eau, qu'ils ont respectés et codifiés (Galvez, 2016).
Les abus commis par les conquérants espagnols et portugais en Amérique, dénoncé par certains religieux espagnols, ont suscité, au XVIe siècle, une réflexion intellectuelle et politique, générant un nouveau corps doctrinal des droits pour les indigènes. Bien que, paradoxalement, ces plaintes qui ont donné lieu à de nouvelles formes de droit aient été utilisées par les dirigeants de Grande-Bretagne et des Pays-Bas, grands exploiteurs de colonies, pour construire la fameuse Légende noire de l'Empire espagnol, contre lequel ils se sont battus pour l'hégémonie dans les océans(Payne, 2019).
Ces innovations dans le droit des gens ont eu leur effet démographique: lorsque les processus d'indépendance ont commencé en l’Amérique Hispanique, selon des chiffres recueillis dans (Rosenblat, 1967), le pourcentage de population indigène aux États-Unis et au Canada était de 3% (entre 1848, lorsque les États-Unis ont occupé la Californie, et 1880, la population indienne est passée d'environ 150 000 à 16 000), en Guyane française de 4% et au Brésil de 9%. Cependant, au Mexique il était 55%. Bien qu'actuellement il n'y aurait guère de chiffre contesté, selon l'Institut National de la Statistique et de la Géographie de México oscillerait entre 6 et 19%, selon les variables considérées (INEGI, 2022)
Je veux citer deux auteurs (inconnus en dehors de l'Espagne et de l'Amérique hispanique) car ils expriment, au dix-neuvième siècle, deux manières d'aborder la dialectique Nord/Sud.
Angel Ganivet était un andalou passionné qui s'est suicidé à l'âge de trente-trois (33) en Europe du Nord. Mais il a eu le temps de construire des analyses de l'urbain á (Ganivet, 1905) au moins aussi subtil que celles de Simmel ou de Park (Baigorri, 2001).
Et Joaquin Costa était un Aragonais intéressé par une compréhension scientifique de la société espagnole et de ses défis (Gómez Benito, 2021), mais dans un sens plus général était un sociologue non universitaire intéressé par des sujets aussi divers comme l'histoire agraire (comme Max Weber), les religions primitives (comme Durkheim), et par les questions que David McClelland développera un demi-siècle plus tard, comme «achieving societies» (McClelland, 1976). En analysant le déclin espagnol Costa soutient que la société espagnole était ancrée au quinzième siècle, morte de succès, et propose de "mettre sept clés au tombeau du CID” et devenir un Nord, européanisant l'Espagne (Costa, 1914), alors que les penseurs basques Unamuno et Baroja qui, décoloniaux avant la lettre, voulaient hispaniser l'Europe. Costa veut que l'Espagne oublie son passé colonial qui, contrairement au reste des pays européens, cela n'a pas apporté la richesse, mais la folie et la ruine, comme l'aventure chevaleresque à Don Quichotte.
Angel Ganivet veut une modernisation qui ne laisse pas de côté ce que l'Espagne accumule, du fait d'être peut-être le plus grand creuset de l'histoire, après mille invasions de peuples du Nord, du Sud et de l'Est. La dernière, sans succès, depuis la France (A. Ganivet, 1990).
Comme exemple de ce creuset, aussi de la France, des familles sont venues dans ma ville il y a des siècles. Ils ont émigré d'un Nord pauvre, dans les montagnes, vers un Sud plein de promesses, dans la vallée de l'Èbre. De nombreux patronymes de ma commune sont des toponymiques qui correspondent à des communes de Basse-Navarre, les territoires du Royaume de Navarre faisant aujourd'hui partie de la France. Ainsi, mon propre nom de famille, Baigorri (de Baïgorry), et d'autres comme Espeleta (de Espelette), Suescun (de Suhescun), Yoldi (de Iholdy), Larralde o Sola (de Soule). J'en accumule plusieurs dans ma généalogie.
André Siegfried a proposé que
ce n'est pas l'Europe latine qui a fait la révolution industrielle, mais (...) le point de vue latin, dans la considération des problèmes, dans la conception même que l'on se fait de la vie, constitue un aspect indispensable de notre civilisation. (Siegfried, 1950, p.47).
Il y en aura qui se révolteront pour avoir cité Siegfried dans ce siècle. Mais la psychologie des peuples, c'est ce qu'a fait Inglehart, et il n'y a pas de valeurs plus postmatérialistes que celles qui ont gouverné Don Quichotte.
4 Sud local vs. Sud global
Mais revendiquer le Sud ne peut être revendiquer des identités, des rites, des folklores, que comprennent les stigmates: l'irrationalisme, le dolce far niente, une vie subventionnée. Le Sud auquel je peux prétendre est celui qui a construit l'État, les droits pour les indigènes, la tolérance, la diversité. Un Sud qui est en fait le Nord, car le Nord est construit avec des briques du Sud.
C'est pourquoi j'évite le concept de Sud Global, cette réinvention du Sud. Je n'accepte pas une fusion étrange avec d'anciennes cultures prédatrices et oppressives sur lesquelles des histoires de pureté souillée sont maintenant reconstruites. Celui qui est libre des péchés ancestraux, jette la première pierre, mais ne mélange pas mon Sud avec celui qui opprime les femmes ou celui qui exalte ceux qui, il y a quelques siècles, Ils s'exerçaient à arracher les cœurs, et pas dans le sens surréaliste de Boris Vian. Même Rousseau serait effrayé par le creuset du bon sauvage proposé aujourd'hui. Parfois je pense que dans les années soixante-dix, quand on voulait ouvrir une brèche dans l'édifice presque soviétique de la pensée structuraliste, de la modernité éclairée, on jetait le bébé avec l'eau du bain.
5 Conclusion
Quand je pense à mon Sud, je ne pense pas aux mythes ancestraux. Je pense aux trains et aux autoroutes. Je pense à l'arrivée, un jour, du train à grande vitesse. Qui relie Extremadura et Alentejo au Nord. Je pense à une autoroute pour relier la Méditerranée à l'Atlantique. Que nos territoires ruraux disposent de réseaux numériques de qualité pour que les promesses de la Société Télématique puissent se concrétiser ici aussi. Un Sud intégré dans la marche de la civilisation. Pour le meilleur et pour le pire.
Un Sud vers lequel ceux qui ont émigré peuvent revenir. Ma fille est retournée en Estrémadure il y a quelques mois. Après avoir travaillé pendant près de vingt ans dans des compagnies de ballet en Espagne, en Irlande, au Portugal, en Allemagne et en Italie, il souhaite revenir dans sa ville, créer sa propre compagnie dans la périphérie Sud. Je veux que cela soit maintenant possible. C'est le seul Sud que je revendique. Le reste pour les touristes
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Presentación utilizada en la ponencia
Cómo citar
Baigorri, A. (2024). Desenvolvimento e Sociedade. n.º 12. pp. 129-134. ISSN eletrónico: 2184-2647
URL: https://www.revistas.uevora.pt/index.php/desenvolvimento_sociedade/article/view/722/1193